Ce 17 juin 2017 est la date d’expiration de toutes les cartes de régularisation fournies aux migrantes et migrants haïtiens dans le cadre du Plan National de Régularisation des Etrangers (PNRE) en République Dominicaine.
Adopté en mai 2014 suite au scandale mondial provoqué par l’adoption de l’Arrêt TC 168-13, ce plan avait permis à environ 239 000 immigrantes et immigrants, en majorité des ressortissantes et ressortissants haïtiens, en situation irrégulière d’obtenir un permis de séjour temporaire mais force est de constater que leur problème n’était pas résolu. Tous les permis étaient valables seulement pour une durée d’un à deux ans. Les autorités dominicaines ne disent rien de ce qui advient des cas de ces migrant(e)s dont la situation a été « régularisée ». Actuellement, les personnes concernées vivent dans la plus grande inquiétude devant la menace de se faire rapatrier comme des centaines de milliers d’autres dont la situation n’avait pas été régularisée.
Ce sentiment d’angoisse est pour le moins bien fondé. Car, un mois et demi après la fin du PNRE le 17 juin 2015, la République Dominicaine avait intensifié le rapatriement des migrants et de leurs descendants, qui n’avaient pas pu intégrer ce plan. C’est ainsi que dès le début du mois d’août 2015, des milliers d’Haïtiens, d’Haïtiennes et aussi des Dominicains d’origine haïtienne majoritairement des mineurs, ont été forcés de laisser ce pays. Entre les mois d’août 2015 et de juin 2017, plus de 199638personnes ont été ainsi enregistrées à travers divers points de passage frontaliers, par une structure, incluant le GARR, qui fait la vigilance des rapatriements à la frontière avec l’appui de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). De ce nombre, on retrouve 32.9% de femmes et 67.1% d’hommes. Il renferme aussi 3421 mineurs non accompagnés.
Il importe de noter que ces données sont partielles. Car elles concernent seulement les personnes enregistrées par les agents qui font le monitoring au niveau de certains points frontaliers. Or, ces agents ne sont présents actuellement que sur 50 des 141 points de passage au niveau de la ligne frontalière. De plus, ces données n’incluent pas le chiffre des 65049 retours spontanés fourni par les autorités dominicaines avant le déploiement des agents de vigilance. Donc, il peut être estimé en centaine de milliers aussi le nombre de personnes qui n’ont pas été enregistrées.
La majorité de ces gens sont rapatriés ou expulsés à la frontière dans des conditions infrahumaines et d’extrême vulnérabilité. Appréhendés par les autorités dominicaines généralement dans les rues, les jardins, les chantiers de construction ou autres lieux de travail, ils n’ont jamais eu l’opportunité de récupérer le minimum de biens qu’ils avaient accumulés en République Dominicaine. Ils n’ont même pas la possibilité de prendre les enfants en bas âge ou d’informer d’autres membres de leur famille restés à la maison. Ils arrivent en Haïti, pour la plupart, traumatisés, fatigués, malades, affamés, sans argent, sans vêtements et sans aucun moyen de subsistance.
Ces personnes dénoncent aussi d’autres violations dedroits humains dont elles sont constamment victimes lors des opérations de rapatriements par les autorités dominicaines : confiscation ou destruction de documents d’identité; violences physiques, sexuelles et psychologiques; conditions dégradantes, cruelles et inhumaines de détention; non accès à l’information, non accès à la justice, etc.
Il convient aussi de souligner la difficile situation des Dominicains et Dominicaines d’ascendance haïtienne en République Dominicaine. Certes, ils/elles ne sont pas expulsés massivement comme les migrant(e)s, mis à part les mineurs dominicains d’ascendance haïtienne qui sont expulsés en compagnie de leurs parents haïtiens rapatriés. Mais ils/ils vivent dans une grande et effrayante incertitude. Les autorités dominicaines séquestrent systématiquement les documents originaux de tous ceux et toutes celles qui font une demande d’extrait ou de renouvellement. Pour les actes de naissance, par exemple, elles gardent les originaux, transcrivent les informations sur un autre registre non prévu par la loi et remettent aux requérants un nouvel acte comme si la déclaration vient d’être faite tardivement. Cette action discriminatoire et stigmatisante soulève de nombreuses inquiétudes face à l'avenir.
Mais plus grave encore est la situation de ces dizaines de milliers de personnes nées sur le sol dominicain avant 2010 mais qui n’ont pas été enregistrées. Les autorités dominicaines n’ont jamais communiqué ce qu’il adviendra de ces Dominicains affectés par l’arrêt 168-13, surtout ceux et celles qui n’ont pas voulu abdiquer de leur droit à la nationalité dominicaine d’origine, pour accepter la démarche de la naturalisation des étrangers, comme les autorités dominicaines l’avaient proposée. Ces gens languissent dans la vulnérabilité la plus extrême et le dénuement le plus total des droits, situation inhérente à leur condition d’apatride.
Le GARR croit qu’il est donc une nécessité de travailler à l’élimination de cette discrimination structurelle dont sont constamment victimes les migrant(e)s haïtiens et leurs descendants en République Dominicaine ; et ce, en violation flagrante de nombreux instruments internationaux des droits humains auxquels la République Dominicaine est partie.
Il encourage les deux États insulaires à engager en toute urgence un dialogue ouvert et franc en vue de définir de commun accord de meilleures stratégies pour aborder la situation des 239,000 migrant(e)s majoritairement haïtiens dont les permis expirent ce 17 juin 2017, ainsi que le cas de centaines de milliers d’autres qui n’avaient pas pu bénéficier du PNRE, en dépit du fait qu’ils travaillent en République Dominicaine depuis des lustres.
Il appelle enfin le gouvernement haïtien à aborder la question de la documentation des migrant(e)s haïtiens avec célérité, en tenant compte de tous les paramètres qui peuvent faciliter leur régularisation sur le territoire voisin. Il l’invite aussi à prendre des mesures efficaces pour que tous les nouveaux nés haïtiens, en Haïti ou à l’étranger, soient systématiquement et convenablement enregistrés de manière à rompre avec le cycle des sans-papiers.