Port-au-Prince (20 septembre 2024) – Il y a environ un an, j’étais ici devant vous pour dépeindre le sombre tableau de la situation des droits humains en Haïti. Je fais le triste constat que tous les indicateurs restent extrêmement préoccupants. Le premier, et le plus inquiétant, celui de l’insécurité.
Malgré un embargo international, les armes et munitions continuent d’être acheminées illégalement dans le pays, permettant aux gangs de mener des attaques de grande ampleur et d’étendre leur contrôle et leur influence sur de nouveaux territoires.
Lors de ma visite dans le sud, aux Cayes et à Jérémie, j’ai pu constater que des zones encore non affectées par la violence des gangs subissent leur impact direct avec une inflation galopante, manque de produits de première nécessité, et des flux de déplacés internes qui accroissent encore la vulnérabilité des populations, en particulier celle des enfants et des femmes. Les conséquences des droits humains et humanitaires sont dramatiques.
La Police Nationale d’Haïti manque de capacités logistiques et techniques pour contrer les gangs. « La situation frise l’impossible. Nous devons apprendre à marcher sur l’eau », a déclaré un policier au Commissariat de Jérémie.
La Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), autorisée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies en octobre 2023, n’a pour le moment déployé que moins d’un quart de ses effectifs prévus. Le matériel reçu est inadapté et les ressources sont insuffisantes.
En attendant, la population continue de souffrir de la violation de tous ses droits humains. Les violences sexuelles, utilisées comme armes par les gangs pour contrôler la population, ont drastiquement augmenté ces derniers mois. Les gangs se livrent de manière croissante à la traite des enfants, aux recrutements forcés, et les utilisent souvent pour mener des attaques contre les institutions publiques et les opérations de police. Les jeunes perdent l'espoir d'un avenir meilleur.
Au cours de ma visite, j'ai rencontré des jeunes Haïtiens, anciens membres de gangs, qui m'ont dit avoir l'impression d'être pris en otage. L'un d'eux a déclaré : « Quand la faim vous prend au ventre, vous ne pouvez penser à rien d'autre, pas même à la peur ».
Lorsqu'on leur demande ce à quoi ils aspirent, ils évoquent une vie normale, un travail, la scolarisation des enfants, de quoi subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Grâce au soutien d'une organisation de la société civile, ils ont réussi à quitter le gang et ont maintenant un emploi.
Ces organisations se substituent souvent à l’Etat pour fournir des besoins de base à la population qui manque de tout. C'est notamment le cas dans les quartiers contrôlés par les gangs, mais aussi dans les camps de déplacés et dans les prisons, là où l'État devrait justement tout mettre en œuvre pour protéger les plus vulnérables. A ce jour, seuls 28% des services de santé fonctionnent normalement en Haïti et près de 5 millions de personnes souffrent d'insécurité alimentaire aiguë.
Au camp de personnes déplacées Mission Église de Dieu la Conquête, nous avons parlé à une petite fille anémique qui n'avait pas mangé depuis deux jours. Elle passait ses journées assise à même le sol, dans une chaleur étouffante, en attendant de rentrer chez elle. Elle n'était pas allée à l'école depuis plus d'un an. Comme le sien, les témoignages des personnes déplacées indiquent que leur seul souhait est de retourner chez elles, « au moins pour vivre comme avant ». Il y a actuellement au moins 700 000 personnes déplacées en Haïti. Plus de la moitié sont des enfants.
Que puis-je vous dire sur les prisons ? En dehors de Port-au-Prince, la situation est encore pire qu'il y a un an. Dans le sud du pays, à la prison des Cayes, il y a 853 détenus pour une capacité totale de 200 personnes ; à la prison de Jérémie, il y a 470 détenus pour une capacité de 50. Ils dorment sur des sols inondés d'eau de pluie et jonchés d'immondices. Ils restent parfois plusieurs jours sans manger. Plusieurs dizaines de détenus sont morts dans ces conditions cette année. Au moins 84% d'entre eux sont en détention préventive prolongée.
Je salue les efforts du Premier ministre pour faire de la lutte contre la corruption une priorité. La corruption ronge le système à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique et dans tous les secteurs, au premier rang desquels, la justice. Les moyens existent, mais ils sont souvent mal utilisés, ce qui est favorisé par une impunité quasi-totale. Sur 94 enquêtes menées par l'Unité anti-corruption au cours des 20 dernières années, une seule a abouti à une condamnation à ce jour.
L'engagement des autorités à mettre en place des « pôles judiciaires spécialisés » pour lutter contre la corruption et les crimes de masse, y compris les violences sexuelles, sera déterminant pour remédier efficacement à cette situation.
Les solutions sont là, et elles existent déjà. Mais les efforts doivent être redoublés immédiatement. Il s’agit, d’une part, de responsabiliser l’Etat en luttant contre la corruption et la mauvaise gouvernance qui continue de plonger le pays dans une crise humanitaire sans précédent. D'autre part, il est crucial d'étouffer les gangs en donnant à la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) les moyens d'être efficace pour soutenir les opérations de la Police Nationale d'Haïti, ainsi que pour mettre en œuvre les autres mesures prévues par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, notamment le régime de sanctions et l'embargo ciblé sur les armes.
Il faut mettre fin à cette agonie qui perdure. C’est une course contre la montre.