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Cultura y sociedad | Par Marc JOSEPH/Historien de l’art et Archéologue (UEH) Maitre en Patrimoine culturel (HMP)

En Haïti, le site Ramier, la Citadelle Henry (dans le Nord), le Fort-Jacques, le Fort-Alexandre, le Fort-Drouet (dans l’Ouest), le Palais des trois cent soixante-cinq portes (dans l’Artibonite), le Fort-Dauphin (à Fort-Liberté) pour ne citer que ceux-là, sont des ancres de l’Histoire.

Ces monuments rappellent des moments spécifiques, des circonstances particulières de rivalités et du besoin de se protéger, du désir de construire une nation, de l’envie de rester des hommes libres et de se forger de nouvelles identités culturelles par opposition à celles en voguent dans les contrées colonisées. Au tribunal de la mémoire, ils s’avéraient être de vrais témoins de l’histoire. Cependant, comment sont-ils ? Sont-ils pour autant des patrimoines ? Que sont-ils dans la réalité haïtienne ? 

Le patrimoine est une construction sociale (Benghain, 1998) qui met en scène les liens générationnels en plus d’être un vecteur économique (Guy Di-Méo 2008 ; Dautruche 2013) à travers la culture au quotidien. Il mérite d’être estimé, respecté et valorisé pour que le passé et le futur se conjuguent au présent. Il est de ce fait, la mesure du temps. Dans le sens d’indiquer le cheminement de l’histoire qui se vit et se vivra dans la mémoire. Pour ce faire, nous avons besoin du patrimoine. En effet, c’est grâce à l’étude d’objets revendiqués et de pratiques culturelles transmises (patrimoines) que le monde actuel appréhende les goûts dans les civilisations. C’est grâce aux monuments de l’Égypte que l’histoire témoigne de la grandeur des pharaons ; grâce aux vestiges laissés par les Mayas et les Incas que les peuples amérindiens du Mexique, du Guatemala et du Pérou sont réhabilités dans la mémoire ; c’est par l’intermédiaire de grandes structures murales, émerveillant le monde, que le Zimbabwe avec ses grands tours, que le Ghana et le Kenya sont perçus comme de hauts lieux culturels dans l’histoire des grandes civilisations ; enfin, c’est par la connaissance de pièces de poterie et autres types d’artéfacts que les amérindiens ayant vécu à Quisqueya (Haïti et la République Dominicaine) sont aujourd’hui catégorisés en divers groupes culturels (ostionoïdes, meillacoïde et chicoïde) (Jean 2013 ; Joseph 2017). En effet, de tels objets sont d’une importance hors pair quand il s’agit de faire revivre l’histoire par l’analyse des mémoires en mouvances dans les sociétés contemporaines.

En effet, le patrimoine révèle la complexité et l’audace des époques. Il révèle l’homme (Huyghe 1967) dans tous ses aspects en tant qu’être social et producteur d’événements, en tant qu’être complexe dans une perspective morine (Morin 2005). Dans ce sens, il est un impératif que la question du patrimoine soit pensée de manière objective pour une communication efficace avec l’histoire et pour une transmission efficiente de la mémoire (Joseph 2017). Qu’il soit archéologique, historique, ethnologique ou anthropologique, le patrimoine joue toujours le même rôle de liant entre les générations (Di-Méo), marquant les temps qu’il synchronise. De ces considérations, Haïti pourrait avoir tout à gagner dans la définition d’une politique du patrimoine aussi par le discours que par l’action.

Dans mon travail de mémoire de master au programme Histoire Mémoire et Patrimoine (HMP/UEH), j’avais déjà montré l’importance du patrimoine dans et pour l’éducation des jeunes. Une importance capitale pour un pays de patrimoine. Aussi, j’avais mis l’accent sur le patrimoine dans les musées haïtiens. Le constat était un peu troublant dans la mesure où, la connaissance autour des artéfacts mis en musée n’atteint pas encore un niveau de scientificité qui pourrait satisfaire la curiosité des consommateurs de la culture muséale et de l’histoire nationale. Cette situation de manquement par rapport au savoir-faire et à la disponibilité d’informations autour d’objets archéologiques est due au fait de l’absence de politique en faveur du patrimoine et de la culture (Joseph 2017).

Pour ce qu’il est de cet article, il se focalise aussi sur l’autre aspect du patrimoine : le bâti. En effet, les monuments sont aussi muets que les mobiliers distribués à l’intérieur de galeries ou de présentoirs de nos salles d’exposition. S’ils parlent, ils parlent un autre langage. Car, le plus souvent, ils laissent les habitants pantois. D’ailleurs dans leur grande majorité, ils n’ont aucune connaissance de ces structures architecturales aussi monumentales que majestueuses. De ce fait, fort souvent, ils désubstentialisent[1] les monuments en empruntant leurs pierres de construction. Sans-Souci est un exemple vivant victime de ce type de pratique à Milot. Les gens ne peuvent vivre le monument ni vivre du monument. Tous les sites mentionnés au début sont des témoignages de tels faits. Car, ils (les habitants) n’ont pas la connaissance des notions du patrimoine, de la mise en valeur de l’héritage culturel, etc.

En fait, le trait qui devrait unir le passé et le présent existe, mais la politique qui devrait mobiliser ce trait, en le mettant dans son contexte historique et culturel n’est pas encore montée à la tête des producteurs de lois républicaines, ni des ministères chargés de la question de la culture, ni des élus locaux qui ignorent complètement les éléments ayant le potentiel pour ranimer les nombreuses communes du pays. Enfin, tout est question de politique en Haïti, sauf de politique du patrimoine, du coup de politique culturelle (car la culture est une construction autour des héritages et des patrimoines.) Ainsi nos grands chefs d’œuvres du temps sont comme des albatros[2] devenant prisonniers des circonstances.     

Pour être plus clair, le constat montre qu’il n’y a pas de vraie mesure visant la gestion du patrimoine (le délabrement des sites, la pauvreté des paysans autour de ceux-ci). Celui-ci reste ce vocable vide, alors qu’il devrait être de préférence un trait d’union entre le passé et le présent conjuguant la mémoire pour la définition de citoyens conscients d’eux-mêmes en ayant conscience de l’autre ; et aussi un trait vectoriel générateur de revenus économiques ; il devrait pouvoir apporter de la valeur aux locaux. Ils devraient pouvoir se valoriser à travers ces types de biens nationaux malgré leurs différences politiques.

Le constat devient plus sombre lorsque les institutions culturelles se polarisent dans une perspective politicienne visant la mort du patrimoine en ne définissant aucune méthode d’approches du passé basées aucune recherche scientifique, aucune implication efficiente des habitants, aucune utilisation des jeunes universitaires dans le processus de la définition et la préservation de la culture. Qui connait la politique culturelle en vogue dans le pays ? Quels types de mémoire l’État d’Haïti souhaite-t-il valoriser pour quels résultats ? (Joseph 2017)

En fait, ce pays a une grande potentialité du patrimoine, aussi diversifié qu’il existe d’extensions définitionnelles de ce vocable double de sens (patrimoine matériel et patrimoine immatériel) ; mais pas de patrimoine, par la façon dont les élites politiques et économiques perçoivent nos biens culturels, nos héritages historiques, etc. Il y a eu par moment quelques ministres de la culture qui essaient de réagir sur les monuments historiques. Mais on a constaté aussi des maladresses dans leurs actions ; car, ils/elles ne respectaient pas la question de valeur authentique que doit conserver le patrimoine, du coup son intégrité.

Par le traitement public et politique de la question du patrimoine, Haïti ne dispose pas encore de patrimoines ; mais des héritages à mettre en patrimoine. Toutefois, Haïti dispose de patrimoines par la seule appropriation de certains héritages par certains intellectuels, certains étrangers et de quelques personnes conscientes vivant près des sites. Le concept de patrimoine doit laisser la sphère politicienne pour devenir apolitique et scientifique pour une politique de valorisation de la personne humaine et de la production du citoyen.

Regroupés en deux grandes catégories par rapport à l’appropriation du concept par des  intellectuels et consorts : le patrimoine matériel et le patrimoine immatériel. Ces biens sont distribués dans toutes les provinces, dans toutes les localités et recoins du territoire, et sont observables. Ainsi, l’histoire reste vivante dans la mentalité de certains haïtiens qui la vivent différemment selon leur provenance, leur formation et leur niveau économique. En fait, c’est une histoire de luttes, de méfiance, de marronnage, d’exploitations économiques et sociales à interpeller au tribunal de la mémoire pour sortir le pays de ce niveau de sous-développement culturel, politique et économique.

Certains pourraient avancer que l’État réapproprie les héritages culturels en visant la réalisation du carnaval, la restauration du Fort-Jacques, du la Citadelle Henry, etc. Nous devons rappeler que l’appropriation dont nous parlons est une action pas un simple discours et des dépenses d’énergies pour la seule rentabilité de devises. L’État haïtien doit emboiter le pas vers la définition nationale de nos héritages dignes d’être revendiqués pour une meilleure définition de l’Haïtien. De nouvelles politiques sont à encourager dans le sens de la dignité de la personne et du respect des mémoires.  

Sources :

·         Béghain, Patrice. 1998. Le Patrimoine : Culture et Lien Social.

·         Dautruche, Joseph Ronald. 2013. Tourisme culturel et patrimoine remodelé : dynamique de mise en valeur du patrimoine culturel immatériel en Haïti. Ethnologies. 35, 1.

·         Di-Meo, Guy. 2008.  Processus de patrimonialisation et construction des territoires. In, 88–109. France : Geste éditions.

·         Hurbon, Laennec. 1987. Comprendre Haïti : essai sur l’État, la Nation, la Culture. Paris : Éditions Karthala

·         Jean, Joseph Sony. 2013. Études sur les séquences chronoculturelles de la préhistoire d’Haïti. Sous la direction de François Bon, Professeur à l’Université Toulouse le Mirail et le tutorat de Sterlin Ulysse, Professeur à l’Université d’État d’Haïti. Mémoire présenté le 3 juillet 2013.

·         Joseph, Marc. 2017. Mise en scène des objets archéologiques en Haïti, le cas Musée National du Panthéon Haïtien et du Bureau National Ethnologie.

·         Morin, Edgar. 2005. Introduction à la pensée complexe. [Nouv. éd.]. [Paris] : Seuil.

·         Nora, Pierre. 1984. Les Lieux de mémoire. [Paris] : Gallimard.

·         Huyghe, René. 1967. Sens et destin de l’art. Paris : Flammarion 



[1] Par la pensée de Laennec Hurbon (le fait d’enlever ce qui constitue l’essence de quelque chose ou de quelqu’un). Hurbon a utilisé ce vocable pour parler du fait que l’Afrique a été vidé de ses filles et ses fils par la magie de la colonisation occidentale (qui a fait de l’homme noir la bête de somme qui devrait supporter l’échafaud de l’édifice colonial, qui lui a enlevé les valeurs d’être considérées comme des hommes) La comparaison vient du fait que les pierres qui ont permis l’érection de la structure en soi sont réemployées dans la construction de certaines maisons privées. Du coup, l’héritage régional et national tend à disparaitre.

[2] Par la Charles Baudelaire (1821-1867) un grand oiseau ailé des mers qui se perd sur la terre. C’est le titre du poème Albatros, texte tiré de Les Fleurs du mal. La comparaison avec nos monuments vient du fait que l’oiseau ne se trouvait pas dans son milieu de prédilection, il a perdu ses capacités naturelles de prendre son envol ; de notre côté, nos monuments sont comme des vestiges exotiques d’une culture qui a disparu.