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Derechos humanos | José Luis Soto

Il y a cinq problèmes extrêmement graves en matière de droits humains en Haïti sur lesquels j’ai recommandé de prendre des mesures urgentes dès que j’ai commencé à visiter le pays il y a deux ans et demi. J’ai fait ces visites d’après le mandat que m’a donné le Conseil des droits humains des Nations unies pour observer, rapporter et faire des recommandations sur la situation des droits humains en Haïti. Ces cinq problèmes sont l’analphabétisme, la détention préventive prolongée, l’impunité sur les violations des droits humains du passé, la situation pénible des personnes affectées par des facteurs allant au-delà de la responsabilité de l’État (tels que les déplacés du tremblement de terre, les personnes d’origine haïtienne étant en ou provenant de République dominicaine, ou les victimes du choléra), et l’absence d’élections. 

  

Ces cinq problèmes, parmi beaucoup d’autres, ont été signalés depuis trente ans par les personnes qui m’ont précédé dans ce mandat. Je n’ai fait que proposer que des efforts soient concentrés sur ces cinq aspects, étant donné leur urgence, comme une méthode pratique pouvant aider à faire des progrès dans la tâche très difficile, mais pas impossible, de surmonter la grave situation des droits humains en Haïti. 

 Il faut peut-être rappeler que l’organe qui m’a donné ce mandat est l’instance des Nations unies située au plus haut niveau en matière des droits humains : le Conseil des droits de l’homme. Ce mandat m’a été accordé, avec l’accord de l’État haïtien, en tant qu’« Expert indépendant », c’est-à-dire, selon la terminologie des Nations unies, quelqu’un qui n’est pas fonctionnaire de cette organisation, puisque je ne reçois pas de salaire ou de rémunération pour faire cette activité, je ne suis soumis à l’autorité de personne pour exprimer mes opinions et j’agis seulement à partir de l’expérience développée en tant que défenseur des droits de l’homme pendant plus de trente ans. Mes recommandations, de même que celle de mes prédécesseurs, ne sont pas obligatoires au sens strict, mais ce ne serait pas sage de les ignorer, dû à leur caractère désintéressé, inconditionnel et volontaire.       

 Cette fois-ci j’ai pu partager ces recommandations avec le Président provisoire, Mr. Jocelerme Privert, et avec le Premier ministre nommé, Mr. Fritz Jean. Je me suis entretenu avec eux, de façon séparée et ils m’ont exprimé, tous les deux, leur volonté de prendre des mesures, dans les limites de leur mandat court et provisoire, pour avancer dans ce domaine.  

En ce qui concerne l’alphabétisation, il faut rappeler que presque la moitié de la population du pays ne sait pas lire ni écrire, ce qui constitue une violation en soi qui se répète chaque jour, mais surtout qui donne lieu à d’autres violations de droits élémentaires, puisque dans ces conditions les personnes ont un accès très limité à d’autres droits, tels que le travail, le développement de la personnalité, la justice ou la vie en société. Le Président provisoire et le Premier ministre nommé ont partagés cet avis et ont promis de demander la révision de la campagne d’alphabétisation très importante mais insuffisante qui est en marche, pour la renforcer de façon à ce que l’analphabétisme soit déraciné dans le pays dans un délai raisonnablement court.

  Quant à la détention préventive prolongée, le Président s’est engagé à prendre plusieurs décisions : faire un recensement des personnes emprisonnées pour vérifier qui d’entre elles ont été emprisonnées pour un temps égal ou supérieur à la peine qui leur serait théoriquement applicable ; avoir suffisamment de juges d’instruction pour s’occuper des cas ; réviser la régulation du système judiciaire, et notamment les projets de codes qui ont été préparés et doivent être soumis au parlement, etc. La décision est clairement de réduire aussitôt que possible le taux de surpopulation carcérale et des gens privées de liberté.

  cette occasion j’ai visité la prison de Croix des Bouquets. Si les conditions de détention dans cette prison sont moins graves que dans les autres prisons ou centres de détention que j’ai visitées lors de mes missions précédentes, et le taux de surpopulation n’est pas aussi haut que dans d’autres prisons, il dépasse quand même la capacité d’accueil de 50%, environ : jeudi dernier, il y avait dans cette prison 1.105 détenus tandis que la capacité est d’environ 760 personnes. Il n’y avait que 330 prisonniers condamnés. Les 775 personnes restantes étaient des individus en détention provisoire, soit 70%. Le taux moyen de prisonniers en détention provisoire dans le pays est à 72% : 8.432 personnes en détention provisoire parmi 11.649 personnes incarcérées. Si on libère ou résout la situation des personnes en détention, la situation de surpopulation des prisons, qui ont une capacité pour 4.000 personnes, serait immédiatement résolue.

  Dans la prison de Croix des Bouquets j’ai rencontré un prisonnier qui était en détention provisoire depuis décembre 2012, soit plus de 3 ans. Il est accusé d’avoir acheté une arme qui aurait été volée. S’il était jugé et déclaré coupable, ce crime est passable d’une peine d’un an et demi. Il n’a jamais été entendu par un juge. Les visites des familles dans cette prison sont suspendues depuis le mois de septembre de l’année dernière. La raison qui m’a été fournie est la situation d’ordre public et les manifestations populaires motivées par les résultats électoraux. Ce n’est pas une justification suffisante pour priver les prisonniers, pendant environ cinq mois, du droit de recevoir la visite de leur  famille. Il y a aussi des espaces physiques de la prison de la Croix des Bouquets qui ne sont pas utilisés, sous prétexte de la difficulté de contrôler les détenus : une cour de basket-ball et un réfectoire pour environ 150 personnes. C’est irrationnel de maintenir inutilisés ces endroits, qui aideraient sans doute à améliorer la qualité de vie des détenus et à développer des conditions de convivialité dans la prison.  

  Pour ce qui est de l’impunité, j’ai réitéré la recommandation de créer une commission de vérité, justice et réparation pour les graves violations commises par les régimes de François et de Jean-Claude Duvalier, aussi bien que par le gouvernement militaire et la période du gouvernement Aristide. J’ai également rappelé que le procès judiciaire contre les consorts de Jean-Claude Duvalier, qui avait démarré avant sa mort l’année dernière, continue formellement mais n’avance pas en réalité parce que le juge d’instruction n’a pas suffisamment de moyens matériels et du temps pour ce faire. Le Président provisoire a manifesté sa volonté de jeter les bases, dans les étroites limites de son mandat provisoire, pour la conformation d’une commission de vérité, justice et réparation dont l’intégration puisse être réalisée par le gouvernement élu après la conclusion du processus électoral.

  En ce qui concerne la situation des personnes déplacées dans des camps à cause du tremblement de terre et des cyclones, Je prends note que le gouvernement et ses partenaires vont continuer le processus de relocalisation pour assurer des conditions de vie dignes et durables pour les 60.000 personnes qui sont encore dans cette situation. La Coopération Canadienne a assuré des fonds nécessaires à cet effet en 2015. Pour les victimes du choléra, en tant qu’Expert indépendant, je continue à recommander la création d’une commission de vérité, justice et réparation pour revendiquer les droits des plus de 9.000 personnes qui ont été victimes de cette situation. Quant aux personnes haïtiennes ou d’origine haïtienne qui sont obligées à quitter la République dominicaine, j’ai visité cette fois-ci la frontière à Ouanaminthe, où j’ai constaté qu’une quantité considérable d’haïtiens subissent des expulsions depuis le mois d’aout dernier : en février 2016, du 1er au 27, on a enregistré 2.484 expulsions dans ces conditions (dont 294 femmes adultes et 161 mineurs). Ce sont des personnes de condition très modeste, dans leur majorité des travailleurs agricoles, qui sont accueillies du côté haïtien par l’Institut du bien-être social et des recherches et l’Office de protection du citoyen, aussi bien que par l’Office international des migrations et que des organisations civiles ou religieuses, qui font un travail admirable dans des circonstances très précaires. Je réitère l’appel aux autorités haïtiennes pour prendre les mesures nécessaires à prévenir cette situation aussi bien qu’à améliorer la capacité de l’État pour garantir les droits de ces individus liés, avec des difficultés, à la société haïtienne.

  Les élections, quant à elles, sont dans un processus qui attend d’être conclus. Le président provisoire m’a dit dans ma qualité d’expert indépendant qu’il va respecter l’accord signé le 6 février, selon lequel son gouvernement provisoire aura pour but de finaliser ce processus. Il va donc assurer la formation d’un Conseil Électoral Provisoire de façon à établir comment doit se compléter l’élection présidentielle. J’ai parlé avec cinq candidats présidentiels et ils sont divisés entre ceux qui sont opposés à une vérification du premier tour des élections présidentielles et ceux qui espèrent qu’elle soit faite de manière appropriée afin de compter cette fois-ci avec un résultat pouvant garantir la légitimité du choix d’un nouveau président de la république. C’est une situation très difficile à gérer pour laquelle j’apprécie la volonté décidée montrée par le président provisoire de trouver une solution juste et efficace, conformément aux accords faits et aux très courts délais fixés pour mener à bien la transition politique en cours.

  La présentation orale de mon rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations unies aura lieu le 22 mars 2016 à Genève. Auparavant, ce même rapport sera disponible sur la page web du Conseil des droits de l’homme dès le 11 mars. J’espère avant tout que la situation puisse se normaliser et que les recommandations formulées dans les cinq domaines mentionnés puissent commencer à se concrétiser. Il ne faut pas oublier que les droits des femmes doivent être particulièrement pris en considération lors de l’implémentation de ces recommandations. Les efforts pour assurer la réalisation de ces droits doivent être renforcés, étant donné les difficultés qui ne cessent pas de se manifester à cet égard, ne serait-ce que l’éloquent résultat des élections législatives récentes qui ont laissé le Parlement vide de représentation féminine. Il faut donc mettre en œuvre des mesures plus efficaces pour avancer décidément vers l’égalité des droits des femmes en Haïti.

  Permettez-moi de finir cette présentation en remerciant les autorités Haïtiennes pour m’avoir accueilli pendant cette visite, particulièrement le Président Provisoire et le Premier Ministre nommé, la Protectrice de l’Office de Protection du Citoyen, les autorités d’Ouanaminthe, ainsi que celles de la prison de Croix des Bouquets et mes interlocuteurs lors des rencontres maintenues avec des personnalités politiques, des académiciens, analystes et membres de plusieurs organisations non gouvernementales de droits humains. Je remercie également l’Organisation des États Américains, grâce à qui j’ai pu rencontrer aussi le corps diplomatique et je remercie les ambassadeurs et diplomates de plusieurs pays avec qui j’ai pu échanger des informations. L’appui de la MINUSTAH a été décisif, comme toujours, pour cette mission, et je remercie la Représentante spéciale du Secrétaire générale, ainsi que toutes les Sections de la mission, et en particulier la Section des droits de l’homme, sans qui mes visites ne seraient pas possibles.

  Merci.                                                                                                                        

  Questions-Réponses

 Sophie Boutaud de la Combe (SBDLC): Pour commencer nous prendrons les questions des journalistes sur Port-au-Prince. Pour une raison de temps disponible, merci de les poser de façon groupées et M. Gallon pourra y répondre ensuite.

 Question de RFI/AFP : Vous avez été sur Ouanaminthe et avez constaté des personnes qui ont été expulsées de la République dominicaine. Vous évoquez, rien que pour ce mois-ci, 2.484 personnes. Depuis le mois d’août dernier, ces expulsions se poursuivent. Vous avez déjà lancé un appel pour le respect des droits des expulsés, notamment vous avez souhaité que ces expulsions se fassent dans le cadre d’une coordination entre les deux pays. Depuis votre précédente visite, est-ce que vous avez constaté qu’il y a un effort de dialogue entre les deux pays, ou est-ce qu’il y a tout simplement un abandon de ces personnes expulsées, notamment à Anse-à-Pitre et aux postes frontaliers dans le département du Centre ?

 Question de Radio Télé Métropole : Depuis déjà plusieurs jours, il y a un mouvement de protestation du staff local de la MINUSTAH. Etes-vous au courant de ce mouvement, si oui, quelle en est votre appréciation ? En plus, dans un pareil cas, est-ce que l’ONU peut prendre des mesures à l’encontre des employés contestataires, allant jusqu’à la suppression de leur couverture d’assurance ?

 Question de Radio One : Avez-vous constaté des avancées en matière du respect des droits de l’homme dans le pays par rapport aux précédentes visites que vous avez effectuées, particulièrement en ce qui a trait aux droits des prisonniers ?

 Réponses de Gustavo Gallon : Sur les personnes d’origine haïtienne en République dominicaine, le cas que j’ai vu est à Ouanaminthe. Il faut développer des mesures pour atteindre ces types de personnes victimes et aussi développer le dialogue entre les autorités des deux pays. Cette fois-ci, je n’ai pas pu parler avec les autorités haïtiennes qui sont en charge de ce dossier. Je n’ai pas d’information là-dessus. J’ai parlé avec le ministre des Affaires étrangères la fois dernière, il m’avait dit qu’on était en train de reconsidérer le protocole qui existe entre les deux pays. Mais je ne suis pas au courant des progrès réalisés là-dessus. Je saisis cette occasion pour renouveler mon appel aux autorités, tant d’Haïti que de la République dominicaine, pour avancer dans ce domaine. Je n’ai pas de mandat sur la République dominicaine, donc je lance cet appel de façon respectueuse et d’un point de vue humanitaire et non sur la base d’un quelconque mandat. Pour ce qui est des autorités haïtiennes, c’est dans le cadre de mon mandat et je leur recommande de prendre des mesures nécessaires pour protéger ces populations. Comme je l’ai dit dans ma présentation.

 Quant aux employés locaux de la MINUSTAH, je n’ai pas d’information là-dessus. Ce n’est pas non plus dans mon mandat. En tout cas, j’aimerais bien m’en informer. Si je peux apporter ma contribution, je le ferai avec plaisir, mais ce n’est pas strictement dans mon mandat.

 En ce qui concerne la question la plus générale des avancées qui se seraient faites ou pas en matière de respect des droits de l’homme, la situation continue à être pareille dans les domaines que j’ai observés. C’est pourquoi je réitère mes recommandations. Vous avez mentionné la situation dans les prisons, elle continue à être très difficile. Je ne vois pas de changement en substance. Cette fois-ci, comme je l’ai dit, j’ai visité l’une des prisons qui est dans les meilleures conditions pour les personnes détenues. Par rapport à d’autres centres carcéraux, la prison de la Croix-des-Bouquets est mieux organisée. Le taux de surpopulation n‘est pas aussi haut que dans les autres prisons où la situation est intenable. Comme je l’ai dit, il y a quand même un degré de surpopulation de 50%. Les cellules sont conçues pour accueillir une personne et on y trouve 12. Certainement, il y a des lits en béton, ce qu’on ne trouve pas ailleurs. Et dans ces lits pour une personne, douze personnes s’y accommodent. Ce n’est pas bien, mais ailleurs c’est pire. Pour le même espace, on a quarante personnes. Cela a été toujours comme cela et la situation ne s’est pas améliorée. La situation des gens en prison est très difficile. Le nombre de personnes en détention provisoire prolongée est très élevé ; ils représentent 72% des incarcérés.

 Il y a aussi les cinq problèmes que j’ai mentionné tout au début. Je voudrais rappeler que ces aspects que j’ai mentionnés ne sont pas les seuls problèmes de droits humains en Haïti. Mais ce que je fais c’est de proposer de prendre des mesures urgentes pour résoudre dans un délai raisonnablement court ces aspects qui renvoient à des violations qui sont commises tous les jours contre les gens victimes de ces violations qui auraient dû être résolus depuis longtemps. Il faut développer une politique sérieuse là-dessus.

 SBDLC : Deux dernières questions de nos collègues en région. La première question est posée par monsieur Prosper Belly de radio « Men Kontre » aux  Cayes : « Selon vous est ce que la violation des droits humains en Haïti est due à la faiblesse du système judicaire ? Si oui, comment les Nations Unies peuvent aider le pays à renforcer la justice ? » Cette question corrobore celle qui vous est posée par les collègues journalistes au Cap-Haitien qui demandent « qu’elles sont les dispositions prises par les Nations Unies pour aider à redorer le blason de la justice en application de vos recommandations ? »      

 Réponses de Gustavo Gallon : Certaines de ces violations sont dues à la faiblesse du système judiciaire, oui peut-être  mais pas toutes. L’analphabétisme n’est pas dû à la faiblesse judicaire, l’absence d’élections non plus.  La situation de personnes déplacées dans les camps que j’ai mentionnés non  plus. Mais certainement : le problème des gens dans les prisons, la surpopulation, la détention provisoire prolongée, l’impunité aussi.  

 Il y a des mesures que la société et les institutions haïtiennes ont développé elles-mêmes. Ce sont comme des productions directes, sans l’appui de la communauté internationale ou des Nations Unies, ou des fois avec un certain appui, tel que des propositions de législations nouvelles. Il y a un projet de Code Pénal et un projet de Code de procédures pénales qui ont été préparés par des juristes très importants d’Haïti, qui doivent être étudiés par le Parlement et qui attendent l’approbation qui n’a pas pu se faire l’année dernière parce qu’il n’y avait pas de Parlement.

 Ça c’est par exemple l’un des aspects qui pourraient aider et il y a aussi une aide permanente que fournissent les Nations Unies aux autorités et à la société haïtienne à travers des services sur la justice. Oui, disons-le, il y a une coopération là-dessus et des aspects qui  doivent se modifier s’adapter, pour éviter la continuation des violations. Là-dessus, oui, La communauté internationale continuera à faire tout ce qu’elle peut. Mais il y a beaucoup d’aspects qui ne dépendent pas de législations ni du système judicaire mais de la volonté politique pour changer  et organiser les choses de façon différente. 

 SBDLC : Merci Monsieur Gallon, Merci de votre disponibilité pour les médias,  nous savons que vous devez courir pour prendre votre avion et nous nous excusons auprès des médias pour cet horaire un petit peu anticipé pour la conférence de presse.

 Merci beaucoup  Monsieur.

 Chers amis journalistes, je vous rappelle, comme l’a dit monsieur Gallon, que son rapport  sur la situation des droits de l’homme sera en ligne sur le site Internet du Conseil des droits de l‘homme dès le 11 mars et qu’il en assurera la présentation orale au Conseil des droits de l’homme le 22 mars au siège des Nations Unies à Genève.

 Merci beaucoup